Quatre feuilles, quatre temps!
Aujourd’hui, à l’occasion des célébrations du saint patron de l’Irlande, Saint-Patrick, vous serez sans doute plusieurs à souligner la date puisque c’est en Irlande que de nombreuses familles québécoises et canadiennes, bien implantées aujourd’hui, puisent leurs origines. Il n’y a qu’à penser aux nombreux noms de famille qui font partie du paysage de la toponymie des différentes régions du Québec et à plus grande échelle, de celle du Canada, pour réaliser à quel point notre histoire est intimement liée à celle de l’Irlande.
Certes, lorsque l’on parle d’Irlande au sens premier, on pense d’abord à l’île aux 1448 km de rivages puis, aux deux Irlande : celle du « du Nord », partie intégrante du Royaume-Uni actuel et la seconde, dite « République ». Quoi qu’il en soit, l’Irlande est un tout aux réalités fort différentes selon si l’on visite Belfast, ville à l’importante histoire maritime, Dublin, éternelle festive, la côte sauvage de l’Atlantique entre Cork et Derry ou l’ancien orient, l’orient néolithique aux vestiges qui daignent murmurer leurs histoires aux oreilles attentives.
Ainsi donc, aujourd’hui, notre trifolium repens revers non pas trois, mais quatre feuilles, car c’est bien en quatre-temps que l’Irlande se doit d’être savourée. Suivez le guide pour un voyage sur l’île d’Émeraude au parcours de ces quelques lignes.
Déjà vu? Musique envoûtante? Allégresse contagieuse des passants? Vous êtes sans doute à Dublin, capitale de la république d’Irlande. Nombreux sont ceux qui, en y posant les pieds la première fois, ont l’impression de revivre une vie antérieure. Cela n’est pas le fruit du hasard, car si ce n’est que nous sommes nombreux à avoir du sang irlandais grâce au travail du temps, les Irlandais sont aussi nombreux à avoir apporté avec eux leurs traditions, leurs plats et leur foi chrétienne en immigrant au Nouveau-Monde. Quantité de mariages franco-irlandais ont eu lieu dans notre histoire récente, les familles se sont élargies, les siècles ont passé et le quotidien des Québécois et des Irlandais est teinté de similitudes dont on aime s’imprégner lors d’un passage dans une ville effervescente comme Dublin. Ajoutez à cela un patrimoine bâti merveilleusement bien conservé et une joie de vivre propre aux Irlandais et vous aurez la recette du bonheur. Ne vous manque plus qu’à vous attabler à un bar et laisser ses pensées divaguer au gré des passants et de la musique celtique, une musique de l’âme empreinte de profondeur. Votre pinte vous attend à Dublin.
Les kilomètres s’ajoutent doucement au compteur alors que nous faisons route vers le sud et le comté de Wicklow, que nous traversons, s’étend à perte de vue tout de vert vêtu. Les routes sont bordées d’arbres plusieurs fois centenaires dont la canopée vient envelopper le moment et à leur pied, des tapis de trèfles (à trois feuilles cette fois-ci) en fleurs défilent aussi loin que le regard le permette. C’est la porte d’entrée sur l’histoire millénaire irlandaise, celle des brumes matinales, de la côte celtique et des tombes vikings. Arrivés à Glendalough, on saisit d’emblée ce qui motiva St. Kevin à y établir un monastère au 6e siècle. Le site monastique, l’un des plus grandioses au pays avec ses deux lacs, a été, à son apogée, l’hôte de six églises, une tour de vigie et une cathédrale. Malgré le pillage perpétré par les Vikings au cours de l’histoire, un site magnifiquement bien préservé et empreint de sérénité s’ouvre encore aujourd’hui au visiteur. Encadrée par de petits ponts de pierre, de paisibles ruisseaux et des collines environnantes tapissées du violet des trèfles en fleurs, c’est la terre des 5000 aubes, c’est l’ancien orient irlandais.
Puis, voici venir la côte atlantique, cette même côte qui fit dire au poète irlandais Seamus Heaney lorsqu’il la contempla pour la première fois « qu’elle prend le cœur au dépourvu et lui donne son envol ». Ces mots véhiculent parfaitement l’image que l’on se fait de ces falaises : façonnées de mains de maître par la dernière période glaciaire, balayées par le vent qui insuffle une impression de bout du monde et résolument verdoyantes se dressant fièrement au-dessus de la mer. Utopique comme descriptif n’est-ce pas? Heureusement, l’utopie devient tangible et bien vivante en l’entité des Falaises de Moher qui culminent à 214 mètres droit devant vous. Leur découpage spectaculaire et les nombreuses espèces d’oiseaux qui y nichent leur ont valu l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO dans le cadre d’une aire de conservation et d’un géo parc uniques. Le plaisir, en ces lieux, consiste surtout à se laisser porter par ses pas ou un guide chevronné pour s’abandonner à la féérie des lieux. De prime abord, les falaises vous sembleront peut-être un brin farouches, mais l’âme n’en est pas moins en paix devant un tel déploiement.
Enfin, histoire de boucler la boucle de notre périple insulaire, après avoir transigé par Belfast, mère patrie du transocéanique Titanic, nous bifurquons vers le nord traversant la petite bourgade de Bushmills, célèbre pour son whisky irlandais éponyme, avant d’atteindre la spectaculaire côte d’Antrim et sa célèbre Chaussée des Géants. Également classée au patrimoine mondial de l’UNESCO pour son exceptionnel caractère géologique et sa beauté mythique, la Chaussée des Géants est en fait composée de près de 40 000 colonnes de basalte octogonales à hauteur et à largeur variables qui dévalent le littoral avec d’aller fusionner avec les eaux de l’Atlantique Nord. Le fracas des vagues sur ces marches de géants entraîne les pensées au large et nous incite à prolonger l’expérience sur place en empruntant les multiples sentiers de randonnée qui le sillonne. La lumière change au fil du jour passant des teintes orangées de l’aube au vert du matin valsant vers le cendré des nuages d’après-midi au tabac des falaises au coucher de soleil. Le spectacle est saisissant, les frissons garantis et l’ensemble est tel qu’il l’était à sa création il y a 60 millions d’années lors d’une activité volcanique maintenant disparue. C’est ce dont les rêves sont faits; sauf que là c’est réel.
Quatre temps, quatre réalités. L’invitation vous est faite, de venir les vivre et d’y dénicher vous aussi, votre trifolium à quatre feuilles. Bonne et heureuse Saint-Patrick.